Homélie du pape François pour la messe de clôture de l’Année de la vie consacrée et pour le Jubilé de la vie consacrée, qu’il a présidée, en la basilique Saint-Pierre, mardi 2 février, Fête de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem.
Nous avons sous les yeux un fait tout simple, humble et grand: Jésus est conduit par Marie et Joseph au temple de Jérusalem. Jésus est un enfant comme tant d’autres, comme tout le monde, mais il est unique: il est le fils unique venu pour tous. Cet enfant nous a apporté la miséricorde et la tendresse de Dieu : Jésus est le visage de la miséricorde du Père. C’est l’image que nous offre l’Évangile au terme de cette Année de la vie consacrée, une année vécue avec tant d’enthousiasme. Celle-ci, tel un fleuve, se jette dans les eaux de la miséricorde, dans cet immense mystère d’amour que nous vivons en ce moment avec le jubilé extraordinaire.
La fête d’aujourd’hui, surtout en orient, est appelée fête de la rencontre. L’Évangile que nous proclamons parle en effet de plusieurs rencontres (cf. Lc 2,22-40). Au temple, Jésus vient à notre rencontre et nous à la Sienne. Puis, nous avons la rencontre avec le vieux Siméon, qui représente l’attente fidèle d’Israël et l’exaltation du cœur qui voit s’accomplir les promesses d’antan. Et nous admirons aussi la rencontre avec Anne, la vieille femme prophète qui a exulté de joie et loué Dieu après avoir vu l’Enfant Jésus. Siméon et Anne sont l’attente et la prophétie, Jésus est la nouveauté et l’accomplissement: Il se présente à nous comme la surprise éternelle de Dieu; en cet enfant né pour tous se rencontrent le passé, fait de mémoire et de promesse, et l’avenir, plein d’espérance.
Nous pouvons voir que c’est comme ça que commence la vie consacrée. Les personnes consacrées sont appelées avant tout à être des hommes et des femmes de la rencontre. La vocation, en effet, n’est pas le résultat d’un projet auquel on aurait réfléchi « assis à une table », mais une grâce du Seigneur arrivée jusqu’à nous par le biais d’une rencontre qui change la vie. Ceux qui rencontrent vraiment Jésus ne peuvent pas ne pas changer, ne seront plus les mêmes. Jésus est la nouveauté qui fait de toute chose une chose nouvelle. Qui fait l’expérience de cette rencontre devient un témoin et rend possible la rencontre pour les autres ; il se fait également promoteur d’une culture de la rencontre, évitant l’égocentrisme qui ne porte qu’au repli sur soi.
Le passage de la Lettre aux hébreux que nous venons d’entendre, nous rappelle que Jésus lui-même, pour se faire « rencontre » avec nous, n’a pas hésité à partager notre condition humaine: « Puisque les enfants des hommes ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé, lui aussi, pareille condition » (v. 14). Jésus ne nous a pas sauvés « de l’extérieur », il n’est pas resté en dehors de notre drame, mais a voulu partager notre vie. Hommes et femmes consacrés sont appelés à être un signe concret et prophétique de cette proximité de Dieu, de ce partage avec la condition de fragilité et de péché de l’homme de notre temps. Toutes les formes de vie consacrée, chacune selon ses propres caractéristiques, sont appelées à vivre dans un état permanent de mission, en partageant « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent » (Gaudium et spes, 1).
L’évangile nous dit aussi que « le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qui était dit de lui » (v. 33). Joseph et Marie « conservent » en eux l’étonnement de cette rencontre pleine de lumière et d’espérance pour tous les peuples. Et nous aussi, en tant que chrétiens et personnes consacrées, nous sommes des gardiens de cet étonnement. Cet étonnement doit être renouvelé en permanence; gare aux habitudes dans la vie spirituelle; attention à ne pas cristalliser nos charismes sur une doctrine abstraite : les charismes des fondateurs – comme je l’ai déjà dit plusieurs fois – ne sont pas à enfermer dans des bouteilles, ne sont pas des pièces de musées.
L’Esprit a agi sur nos fondateurs qui n’ont pas eu peur de se salir les mains avec la vie quotidienne, avec les problèmes des gens, de sillonner avec courage les périphéries géographiques et existentielles du monde. Obstacles et incompréhensions ne les ont pas arrêtés, car l’étonnement de leur rencontre avec le Christ a toujours été dans leurs cœurs. Ils n’ont pas « apprivoisé » la grâce de l’Évangile ; ils ont toujours eu dans leur cœur une saine inquiétude pour le Seigneur, l’envie déchirante de le montrer aux autres, comme ont fait Marie et Joseph au temple. Nous sommes appelés, nous aussi, aujourd’hui, à prendre des décisions prophétiques et courageuses.
Enfin, cette fête nous apprend à avoir de la gratitude pour cette rencontre que nous avons eue avec Jésus et pour avoir reçu en don cette vocation à la vie consacrée. Remercier, rendre grâce: Eucharistie. Que c’est beau de voir des personnes consacrées avec le visage heureux, souvent des personnes d’un certain âge comme Siméon ou Anne, contentes et pleines de gratitude pour leur vocation. Ce mot (gratitude) résume à lui seul tout ce que nous avons vécu en cette Année de la vie consacrée : la gratitude d’un don reçu de l’Esprit Saint qui anime toujours l’Église à travers les divers charismes.
L’Évangile s’achève en disant : « L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui » (v. 40). Puisse le Seigneur Jésus, par l’intercession maternelle de Marie, grandir en nous, stimuler en chacun de nous le désir de la rencontre, notre étonnement, et la joie de la gratitude. D’autres seront alors attirés par sa lumière et pourront rencontrer la miséricorde du Père.
Après la messe, le pape a rejoint le parvis de la basilique Saint-Pierre pour saluer les religieux et religieuses qui n’avaient pas trouvé de place à l’intérieur de la basilique :
Chers frères et sœurs consacrés, merci infiniment! Vous avez participé à l’eucharistie un peu au froid, mais le cœur brûle!
Merci de finir comme ça, tous ensemble, cette Année de la vie consacrée. Continuez ! Chacun de vous à une place, un travail dans l’Église. S’il vous plait, n’oubliez pas la première vocation, le premier appel. Souvenez-vous! Et le Seigneur continue de vous appeler de ce même amour avec lequel vous avez été appelés. Ne pas diminuer, ne pas diminuer cette beauté, cet étonnement du premier appel. Et puis continuer à travailler. C’est beau! Continuer. Il y a toujours quelque chose à faire. Le principal est de prier. La prière est la « moelle épinière » de la vie consacrée : prier ! Et vieillir comme ça, mais comme le bon vin !
Je vous dis une chose. J’aime bien rencontrer des religieuses ou des religieux âgés qui ont le regard pétillant, car ils ont en eux le feu de la vie spirituelle. Ce feu est toujours allumé, ne s’est pas éteint ! Allez-y, aujourd’hui, chaque jour, continuez à travailler et à regarder l’avenir avec espérance, e demandant toujours au Seigneur de nous envoyer de nouvelles vocations, pour que notre œuvre de consécration puisse progresser. La mémoire : n’oubliez pas le premier appel ! Le travail de tous les jours, et puis l’espérance d’avancer et de bien semer. Que les autres, derrière nous, puissent recevoir l’héritage que nous leur laisserons.