« Ce qui est constitutif de cette vocation et lui donne tout son poids, est son fondement historique. En effet, cette vocation a existé dès les premiers siècles de l’Église et fait partie de la tradition » (Janine Hourcade)
Les vierges avant le IVe siècle
On sait qu’au sein de la communauté primitive, des femmes choisissaient de vivre dans la virginité « à cause du Royaume des cieux », selon l’invitation du Christ :
« Il y a des gens qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre qu’il comprenne ! » (Mt 19, 10-12)
et les conseils de St Paul :
« Je pense que le célibat est une bonne chose … Oui, c’est une bonne chose de vivre ainsi » (1 Co 7, 27)
Dans les rares documents qui signalent leur existence, on les appelle tout simplement « vierges » (virgines en latin, parthenoi en grec). Elles vivent une vie indépendante au sein de leurs familles. « On aurait tort d’attribuer à l’absence de textes le peu de choses que l’on sait des vierges des deux premiers siècles. Cela tient plutôt à cette forme de vie dont les contours n’étaient pas encore très bien définis. » (René Metz, La consécration des vierges dans l’Eglise romaine. Etude d’histoire de la liturgie », PUF 1954, 504 pages)
Au IIIe siècle, on commence à avoir des documents. Les renseignements les plus précis nous viennent non pas de Rome mais de l’Eglise d’Afrique. Tertullien et St Cyprien consacrent l’un et l’autre une partie de leur œuvre aux vierges chrétiennes. Clément d’Alexandrie et surtout Origène nous permettent de voir ce qui se passe en Egypte, et Méthode d’Olympe en Asie Mineure.
D’après les écrits de ces auteurs, le nombre des vierges grandit en raison de la faveur dont jouit la pratique de la continence au IIIe siècle. « Que de vierges mariés au Christ ! » notait Tertullien au début du IIIe siècle. St Cyprien, écrit vers le milieu du IIIe siècle que leur nombre se multiplie de jour en jour. D’après les épitres de Clément d’Alexandrie, on rencontre des vierges dans presque toutes les villes et villages.
Quant aux termes pour les désigner, ces auteurs ne connaissent que virgines ou parthenoi. Elles vivaient dans leur famille et se mêlaient à la vie des fidèles comme dans la période précédente. Rien ne permet de les distinguer, elles ne portent pas d’habit spécial.
Comment entraient-elles dans cet état ? On ne sait pas. A partir du IIIe siècle, c’est plus qu’une simple intention ou résolution, il s’agit maintenant d’une promesse faite à Dieu de renoncer au mariage et de vivre dans la virginité.
Les vierges dans l’Église de Rome au IVe siècle et évolution jusqu’au XIe siècle
Au IVe siècle, les vierges deviennent de plus en plus nombreuses et commencent à se réunir en communauté. Elles entrent désormais dans leur état par une cérémonie liturgique.
Au cours des Ve et VIe siècles, elles connaissent un plein essor sous sa double forme : vivant dans le monde et vivant en communauté. On rencontre des vierges dans les régions où le christianisme s’est implanté. Non seulement en Afrique, en Asie mineure, en Palestine, mais en Espagne, en Italie, en Gaule.
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Apparition de « monastères »
Fait nouveau à la fin du IVe siècle : l’apparition de monastères dans tous ces pays (à ne pas confondre avec les grands monastères de type bénédictin, qui apparurent au VIe siècle, et sous des modalités très différentes). Alors qu’à la période précédente, les vierges continuaient à vivre dans leurs familles, beaucoup d’entre elles commencent à renoncer à leur indépendance pour mener la vie commune en groupes plus ou moins importants. On attribue à St Pachôme (287-346), l’initiateur de la vie cénobitique en Egypte, la fondation de monastères de femmes. Il en confia une à sa sœur. Au début du Ve siècle, un des monastères fondés par lui aurait rassemblé près de 400 vierges.
Ces communautés de vierges sont répandues un peu partout en Orient, en Asie, et dans l’Europe entière. En Palestine, St Basile en fonda plusieurs. Ethérie, la noble dame qui entreprit un voyage dans les Lieux Saints, rapporte qu’elle vit beaucoup de couvent de vierges en Asie Mineure. En Gaule, les monastères de vierges apparaissent dès le IVe siècle, notamment à Tours avec St Martin qui, au dire de St Sulpice Sévère, avait un grand souci des vierges consacrées lors de ses visites pastorales.
A partir du VIè siècle, les communautés de vierges étaient en pleine croissance. A Arles, 200 moniales vivaient dans un monastère fondé par St Césaire. En Afrique, les communautés de vierges prospéraient au temps de St Augustin qui les avaient en grande partie fondées. En Italie aussi : St Ambroise parle de monastères de vierges à Milan, Vérone, Bologne, mais c’est surtout à Rome que les communautés se multipliaient à cette époque.
Bref, au IVe siècle, à côté de nombreuses femmes qui continuaient à vivre une vie solitaire dans le monde, beaucoup d’autres choisissaient la vie commune. Dans tous les pays on rencontrait ces deux catégories de vierges. L’évolution vers la vie commune s’est faite plus rapidement en Occident qu’en Orient.
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Emission du vœu de virginité
Le second changement important que l’on constate au IVe s., c’est l’émission du vœu de virginité au cours d’une cérémonie liturgique dont les éléments se dessinent très nettement, du moins en Occident.
Les documents abondent désormais. Les auteurs et les Conciles emploient diverses expressions pour désigner la cérémonie ; ils en parlent comme d’une pratique courante, si courante qu’elle est connue des historiens non chrétiens. Le terme virgines sacrae devient d’un emploi fréquent ; désormais, il exprime une réalité connue de tous.
Au IVe siècle. les vierges forment un corps constitué comme les veuves et les diaconnesses. St Basile parle de l’ordo virginum. Les vierges occupent une place dans la hiérarchie après l’évêque, les prêtres, les diacres, à côté des veuves et des diaconesses, mais distinctes d’elles. Leurs noms sont inscrits dans les registres de l’Eglise.
Après la paix de l’Eglise avec l’Empereur Constantin, c’est Rome désormais qui nous fournit les renseignements les plus nombreux et les plus précis. A l’époque de l’invasion des Lombards (VIe siècle), Rome comptait jusqu’à 3000 vierges réparties en divers monastères. Le pape Grégoire le Grand les considéraient comme les protectrices des Romains, lors des incursions barbares.
Les vierges vivant dans le monde étaient aussi nombreuses. Les deux catégories ont continué à coexister aux Ve et VIe siècles. Les unes et les autres pouvaient être consacrées par la remise du voile. Mais toute jeune fille qui faisait profession de virginité ne recevaient pas systématiquement la consécration. Elles avaient fait vœu de virginité en privé. Leur engagement, leur propositum était connu de l’évêque, mais il n’avait pas été corroboré par la cérémonie de consécration. On eut ainsi des vierges consacrées ou voilées, et des vierges qui s’étaient contentées du simple propositum.
À cette période à Rome, il n’existe pas de terme spécial pour distinguer les vierges chrétiennes vivant dans le monde de celles vivant en communauté, les vierges simplement professes et les vierges consacrées. A côté de l’expression virgines sacrae qu’on trouve fréquemment dans les écrits des Pères, dans les documents pontificaux ou sur les inscriptions funéraires, on trouve très souvent celles de « vierge consacrée à Dieu » (virgo sacrata Deo) ou « consacrée à Dieu » (sacrata Dei), ou « consacrée » (sacrata) tout court. Ou encore : « vierge du Christ » (virgo Christi), « consacrée au Seigneur » (sacra Domini) et même « épouse du Christ » (sponsa Christi).
Malgré l’absence de vocabulaire précis, on peut dire que l’Eglise connaît deux catégories de vierges chrétiennes du IVe au VIe siècles :
- Les vierges qui se contentent de la simple émission du vœu, comme cela était d’usage dans les siècles précédents ;
- Et d’autres qui sollicitent de l’Eglise la sanction officielle de leur vœu de virginité. Cela se faisait au cours d’une cérémonie liturgique dont nous allons parler.
À noter qu’à partir des VIIe-VIIIe siècles, les femmes consacrées vivant dans le monde deviennent de moins en nombreuses, en raison notamment de l’insécurité de l’époque. Les autorités religieuses favorisaient surtout la vie cloîtrée en communauté, si bien qu’au IXe siècle, leur nombre décroît énormément. Après le Xe siècle, les vierges consacrées vivant dans le monde sont des cas très rares, à Rome du moins.
La cérémonie de consécration des vierges à Rome du IVe au XIe siècle
On trouve diverses expressions pour désigner la cérémonie. Consécration d’une vierge (consecrationis virginis) dès la fin du IVe siècle (chez St Jérôme notamment) ; bénédiction d’une vierge (benedictio virginis), vierges sacrées (virgines sacras), consécration d’une vierge sacrée (consecratio sacrae virginis) (terme familier au pape Grégoire le Grand). Le pape Léon utilisait simplement le mot « consécration ».
Souvent on désignait la cérémonie par le rite le plus représentatif : celui de la velatio. Aussi bien le verbe velare était-il considéré comme synonyme de consecrare. A partir du Xe siècle, velatio n’est plus utilisé, car la remise du voile n’est plus l’unique rite de la consécration, comme auparavant.
- Conditions demandées
Dès son apparition au IV e siècle, la cérémonie de consécration se présente comme un droit exclusif de l’évêque. À Rome le pape se faisait un devoir de consacrer lui-même les vierges. Ainsi, Marcelline, la sœur de St Ambroise fut consacrée par le pape Libère vers 353 dans la basilique Saint-Pierre. A Milan, St Ambroise remit lui-même le voile à de nombreuses vierges.
Cette prérogative de l’évêque s’est maintenue jusqu’à nos jours. Cela ne se fit pas sans difficulté : à diverses reprises, au cours des siècles, les prêtres voulurent consacrer les vierges. Et même, à partir du XIe siècle des abbesses et de simples religieuses s’arrogèrent ce droit. Mais l’Eglise réagit très vivement toutes les fois que pareilles atteintes au droit des évêques se présentaient. Le concile de Carthage en 390, le synode de Rouen en 659 exigent que les jeunes filles reçoivent le voile des mains de l’évêque et non pas d’un prêtre. Le concile de Paris en 829 menace les prêtres de peines canoniques. Mais il pouvait y a voir une délégation de l’évêque aux simples prêtres.
Quant à la jeune-fille, diverses conditions étaient requises pour être admise à la consécration.
- L’âge: Au IVe siècle, pas de règle uniforme. On s’en remettait au jugement de l’évêque mais il y avait une forte tendance à élever la limite d’âge comme pour les veuves et les diaconnesses. St Ambroise réagit vivement contre ceux qui voulaient appliquer à l’ordo virginum les règles en vigueur pour les veuves et les diaconnesses. Dans ses traités sur la virginité, il autorise l’admission des jeunes filles à la consécration dès l’âge nubile selon le droit romain. Pourquoi refuser à Dieu ce que la loi autorise pour le mariage humain ? L’Eglise accepta la consécration à partir de 25 ans. Les disciplines étaient différentes dans les autres pays.
- Temps de probation. L’âge n’était pas le seul critère. Il fallait en plus que la jeune fille donnât la preuve du sérieux et de la fermeté de sa résolution. Et donc qu’elle persévérât un certain temps dans son propositum. La consécration en deux étapes est nettement affirmée dès la seconde moitié du IVe siècle. On ne donnait le voile qu’après un certain temps de probation. Pour la durée, on s’en remettait sans doute au jugement de l’évêque.
- Le symbolisme de la consécration
Pour bien comprendre la cérémonie liturgique de la consécration, il faut avoir à l’esprit le symbolisme dont elle procède. La liturgie de la consécration, s’inspire de l’idée que la vierge est l’épouse du Christ. Le symbole de la sponsa Christi constitue le fil d’Ariane de cette liturgie.
Le thème remonte à l’Ancien Testament. Dans la Bible les relations de Dieu avec son peuple sont présentées comme des relations d’époux et d’épouse (cf. Le Cantique des Cantiques). Dans le Nouveau testament, Paul l’applique au Christ et à l’Eglise. Très vite aussi, le thème de l’épouse fut transposé de l’Eglise à la vierge chrétienne. C’est ainsi que St Cyprien qualifie d’« adultère du Christ » les vierges qui ont failli à leur vœu.
La cérémonie par laquelle la vierge entre dans son état d’épouse du Christ est considérée comme une cérémonie de mariage. Par exemple, St Ambroise parle à Ste Marcelline de « ses noces » désignant ainsi la cérémonie de consécration, et à une autre vierge de « ses épousailles avec le Christ ».
Pour bien souligner la similitude que l’on voyait entre les deux états, on emprunta au mariage ses rites et on les appliqua à la consécration des vierges. Ainsi la cérémonie par laquelle les vierges embrassaient leur nouvel état finit par prendre l’aspect d’un mariage. On consacrait les vierges en imitant les épousailles humaines.
De fait, les premières ébauches d’une cérémonie de consécration que l’on rencontre au IV e siècle répondent à cette conception. A l’époque, le sacrement de mariage se ramenait à une prière de bénédiction, suivie de l’imposition, du voile à la jeune mariée, rite que l’Eglise de Rome a emprunté au mariage païen et qu’elle adopta pour le mariage chrétien. La consécration des vierges se fera de la même manière : elle consistera en une prière de bénédiction et dans la remise du voile. D’ailleurs le même terme, velatio, servait à désigner aussi bien le mariage chrétien que la consécration des vierges.
Par la suite, dès que le mariage s’enrichira de nouveaux éléments, la consécration des vierges les adoptera aussi, pour bien accentuer l’analogie des deux cérémonies. Par le fait même, l’histoire de la consécration des vierges et du rituel allait être liée à celle de la liturgie du mariage, si bien que le développement des deux rituels se poursuivra de façon parallèle. La cérémonie de la consécration, très sobre à l’origine, à l’image de celui du mariage, s’amplifiera au fur et à mesure du développement de la liturgie du mariage.
- La cérémonie de consécration des vierges du IV e au IX e siècle
On ne possède pas de description officielle de la consécration des vierges à cette époque. Seules les prières récitées à cette occasion nous ont été transmises. C’est à l’aide de ces prières qu’on peut retracer le rite de la consécration des vierges. Ces prières s’échelonnent sur trois siècles
Deux documents permettent d’entrevoir comment on consacrait à la fin du IV e siècle, grâce aux récits de la consécration de Marcelline, sœur de St Ambroise, faite par le Pape Libère à St Pierre de Rome. La cérémonie avait lieu les grands jours de fête, à Noël, à l’Epiphanie ou à Pâques, pendant la Messe. A St Pierre, une foule nombreuse se pressait autour de Marcelline.
L’essentiel de la consécration des vierges au IVe siècle se ramenait à une prière de bénédiction et à la remise du voile. La cérémonie ne subira guère de changement au cours des trois ou quatre siècles suivants. Les vierges ne portaient pas d’habits spéciaux. Le voile était le seul signe d’appartenance à Dieu.
Avec l’apparition des sacramentaires romains, quelques variantes apparurent. Tout le cérémonial se résumait en une longue et belle prière de consécration, telle que nous connaissons et la remise du voile faite par l’évêque. À l’offertoire, les vierges nouvellement consacrées apportaient leur offrande et on inscrivait leur nom sur les registres.
Cette manière de consacrer s’est perpétuée du Ve au IXe siècle à Rome. Mais à partir du XIe siècle, commence une période particulièrement sombre pour Rome qui va durer jusqu’au XI e siècle. L’Eglise romaine n’est plus en mesure de servir de guide aux divers pays, comme dans les siècles précédents. Au contraire c’est elle qui va se mettre à leur école.
La consécration des vierges dans le pontifical romano-germanique (milieu du Xe siècle)
La cérémonie sobre du rite romain va connaître, en passant au-delà des Alpes, dans les pays germano-francs, l’ajout de nombreux éléments, plus développés et plus expressifs. De la fin du IX e au XI e siècles, on assiste à une liturgie de plus en plus compliquée, dont le fond était romain, mais dont la forme n’avait plus rien à voir avec la sobriété romaine primitive.
Le nouveau cérémonial de la consécration a été élaboré par un moine de l’Abbaye Saint-Alban de Mayence, en Allemagne. Ce rituel apparait au milieu du Xe siècle et établit une distinction très nette entre les vierges qui continuaient à vivre dans le monde, et celles qui menaient la vie de communauté en observant les lois de la clôture.
Dès le IVe siècle, on avait observé à Rome et ailleurs ces deux catégories de vierges. Mais il n’avait jamais été question d’un cérémonial spécial de consécration pour l’une et l’autre catégorie.
Sur les bords du Rhin, un moine de Saint Alban élabore vers 950 un grand pontifical qui fut désigné sous le nom de Pontifical de Mayence. On y trouve deux rituels de consécration : l’un pour les vierges vivant dans les monastères et l’autre pour les vierges vivant dans le monde.
Désormais, à partir du milieu du Xe siècle, dans les pays germano-francs on est en présence de deux rituels distincts. A Rome, les vierges consacrées vivant dans le monde avaient disparu vers la fin du IXe siècle. Mais dans les pays germano-francs on trouvait encore un certain nombre de personnes auxquelles l’Eglise accordait la consécration, tout en les autorisant à vivre seules, dans leurs familles.
On y trouve de nombreux changements empruntés aux cérémonies de mariage de l’époque. Dans les monastères, avant la messe de consécration, les parents présentaient et remettaient la jeune fille à l’évêque. Cette cérémonie de la « traditio virginis » est empruntée à la liturgie du mariage de l’époque dans les pays germano-francs, les parents remettaient leur fille à son futur époux. Il en allait de même pour la consécration des vierges, puisqu’elle était considérée comme un mariage.
Suivait la Messe de consécration et la longue prière de consécration empruntée à la liturgie romaine du IV e siècle. Ensuite l’évêque lui posait le voile sur la tête, lui remettait un anneau et une couronne, deux éléments nouveaux, absents de l’ancien rite romain. Cette pratique faisait partie à l’époque de la cérémonie religieuse du mariage dans les pays germaniques. Les Germains eux-mêmes avaient emprunté ce rite au cérémonial des fiançailles de la Rome antique. L’anneau était le signe des épousailles et de la fidélité de la vierge. La remise de l’anneau était suivie aussitôt de l’imposition de la couronne. Le couronnement est emprunté lui aussi aux rites nuptiaux de l’époque. Puis la messe reprenait son cours normal. A la fin, la vierge consacrée recevait une réserve eucharistique qui lui permettait de communier pendant huit jours, pratique qui ne dura pas longtemps et qui fut interdite par Rome. Après la Messe, l’évêque remettait la vierge à l’abbesse ou à la prieure.
Quant à la consécration des vierges dans le monde, elle se faisait sur un mode analogue mais plus simple. : pas de rite de la « traditio virginis » ; à l’évangile, avait lieu la consécration. La cérémonie commençait par une profession publique faite par la vierge d’observer fidèlement les obligations de son état. Elle se prosternait à terre pendant le chant de la litanie des saints, elle se relevait et recevait la consécration. Puis l’évêque lui remettait le voile. Après la Messe, la vierge rentrait chez elle. Il n’y avait pas de bénédiction de vêtements puisque la jeune fille gardait ses vêtements. Il n’est point question d’anneau ni de couronne, pas de réserve eucharistique non plus.
Le nouveau rituel, au milieu du Xe siècle, offre le caractère d’un véritable drame liturgique, souligne René Metz. C’est l’époque où prend naissance en Occident le théâtre religieux. Désormais pas de méprise possible : la consécration des vierges correspond bien à une cérémonie d’épousailles : la vierge tient la place de l’épouse et l’évêque, représentant le Christ, la place de l’Epoux.
Ce nouveau rituel, enrichi d’éléments nouveaux et étrangers à l’ancien rite romain, connut une large diffusion dans tout l’Occident latin. Dès la fin du Xe siècle, ce cérémonial passa les Alpes et parvint à Rome où il influencera la liturgie romaine.
Évolution du rituel du XIIe siècle au XVIe siècle à Rome
Pendant un temps, les liturgistes romains adoptèrent tel quel le rituel du Pontifical de Mayence. Mais à la fin du XIIe siècle, ils voulurent estomper le caractère spectaculaire de la cérémonie. Ils élaborèrent, au début du XIIIe siècle, un cérémonial plus sobre en reprenant certains aspects du rite germano-franc et en l’adaptant à la situation de l’Eglise romaine. Ils supprimèrent le rituel particulier aux vierges vivant dans le monde, puisque les vierges consacrées à Rome, après le Xe siècle, menaient presque toutes la vie de communauté.
- Le cérémonial de Guillaume Durand (fin XIIIe siècle)
A la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe, Guillaume Durand élabora un pontifical qui deviendra un jour le livre officiel de l’Eglise romaine. Après avoir travaillé à la Curie romaine, il est nommé évêque de Mende, en France. En 1292, il se met à rédiger un pontifical pour l’Eglise, et donc un nouveau rituel de la Consécration des vierges. Il reprend l’idée de mariage mystique, exprimée de façon très imagée dans le Pontifical de Mayence et que les liturgistes romains des XIIe et XIIIe siècles avaient essayé d’estomper. Ce rituel sera en vigueur jusqu’au concile Vatican II, à de rares changements près.
Guillaume Durand modifie le nom du rituel : « De benedictione et consecratione virginum », de la bénédiction et de la consécration des vierges. Il met fin aux hésitations des époques précédentes en employant les deux mots.
Le rituel prescrit une enquête minutieuse qui a lieu avant la cérémonie. C’est l’évêque lui-même qui s’en charge et s’assure que la jeune fille remplit bien toutes les conditions (d’âge – 25 ans minimum-, de virginité et de décision de garder la virginité). Guillaume supprime la traditio virginis (ce rite avait également disparu du mariage religieux), il réintroduit l’allocution de l’évêque, pour rappeler aux vierges leur nouvel état de vie et les obligations qui en résultent. Puis vient la promesse de garder la virginité : elles placent leurs mains jointes dans celles de l’évêque. Après la prière de consécration, l’évêque leur remet le voile, l’anneau et la couronne.
Guillaume Durand reprend largement le pontifical de Mayence, mais s’inspire aussi des liturgistes romains des XIIe et XII e siècle. Il fait appel au rituel de la consécration des évêques et de l ‘ordination des prêtres. La cérémonie prit encore une ampleur plus grande.
Le Pontifical de Guillaume Durand fut adopté par la plupart des évêques, à la fin du XVe siècle et devint le livre officiel de l’Eglise.
- Disparition de la consécration des vierges
Depuis le XVIe siècle jusqu’à Vatican II, l’Ordo de la consécration des vierges n’a subi aucun changement, car personne n’éprouvait le besoin de modifier un cérémonial tombé en désuétude. À partir du XVIe siècle, les consécrations de vierges étaient devenues très rares dans les monastères.
Au XVIe siècle, Charles Borromée avait essayé de faire revivre, au moins dans son diocèse de Milan, l’antique cérémonie. Mais sans grand succès. Au XVIIe siècle, Thomassin, théologien s’interroge : « Il est étonnant que la consécration des vierges par les évêques, autrefois si solennelle et si célèbre dans tous les monuments de l’antiquité ecclésiastique, ait pu s’évanouir de manière qu’il n’en reste presqu’aucun vestige ».
La cause principale de la désaffection au XVe et XVIe siècle est le développement de la vie religieuse avec la profession religieuse et la façon dont on considère l’entrée dans la vie religieuse où l’accent est mis plus sur l’engagement que prend la religieuse en prononçant les trois vœux que sur la consécration à proprement parler. Comme le dit fort justement René Metz : « Tout est centré sur la personne qui fait don d’elle-même. Dieu est pour ainsi dire relégué au second plan. C’est à la personne humaine que l’on demande de prendre ses responsabilités. Dieu n’intervient plus qu’à titre accessoire. C’est ainsi que la consécration devient un acte superflu ou du moins surérogatoire, pour tout dire un luxe »
Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, on rencontre encore quelques exemples de consécration de moniales, en Italie surtout. Dans les chartreuses féminines et certains monastères bénédictins, la consécration était toujours donnée. Mais dans l’ensemble la pratique était tombée dans l’oubli.
Restauration du rite de la consécration des vierges et de l’Ordo virginum au XXe siècle
- Tentatives de restauration du rite, fin XIXe et début XXe siècle.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste à quelques tentatives pour remettre à l’honneur la consécration, grâce à Dom Guéranger (1805-1875) qui a restauré l’ordre bénédictin en 1833 (supprimé à la Révolution). Le 15 août 1868, sept moniales de l’abbaye Ste Cécile de Solesmes furent consacrées, avec la permission de Rome, par l’abbé de Solesmes. Depuis lors, de nombreux monastères de bénédictines suivirent l’exemple, encouragés par Pie XI.
Cependant la consécration était réservée aux instituts à vœux solennels (religieuses contemplatives cloitrées), si bien que les congrégations à vœux simples (religieuses apostoliques dans le monde) ne pouvaient la recevoir. Quant aux femmes vivant dans le monde … théoriquement, rien ne s’opposait à ce que l’on revienne à l’ancienne pratique. Certains évêques avaient sollicité de la Congrégation des Religieux l’autorisation de reprendre la pratique, si longtemps en usage dans l’Eglise, de consacrer des femmes qui feraient vœu de virginité perpétuelle, tout en continuant à rester dans le monde.
C’est ainsi qu’en France plusieurs ont reçu cette consécration, notamment Marie Reynès et Anne Leflaive qui seront à l’origine de la renaissance de l’Ordo virginum pour les femmes vivant dans le monde.
Anne Leflaive est consacrée, à Paray-le-Monial, en 1924, par l’évêque d’Autun avec l’autorisation de Rome. Dès lors, toute sa vie va être centrée sur cette vocation de vierge consacrée dans le monde . Quelques autres consécrations de femmes vivant dans le monde ont lieu. A Rome, la Congrégation pour les religieux commence à s’agacer des demandes qu’elle reçoit . Ainsi à la question « Est-il expédient de concéder la faculté de donner la bénédiction et la consécration des vierges à des femmes vivant dans le monde ? », la réponse fut non, suivie de la mention : « Il ne faut rien innover ! », alors qu’au tout début cette consécration s’adressait justement à des femmes vivant dans le monde.
Si bien qu’en 1927, le Pape Pie XI restreint la consécration aux seules religieuses dans leurs monastères. Donc plus aucune consécration de femmes vivant dans le monde.
Anne Leflaive alors se penche sur les documents anciens qu’elle peut trouver et rédige une étude qu’elle publiera en 1933, sans signature : « Etude sur la consécration des vierges du Pontifical romain » et la distribue aux évêques et aux cardinaux. Un exemplaire parvient au cardinal Pacelli, le futur Pie XII, qui publiera en 1954 une encyclique sur la virginité. Puis, en 1956 elle publie, sous son nom, son premier livre : « Epouse du Christ. Etude sur la consécration des vierges du Pontifical romain » en incluant l’encyclique de Pie XII. Dans sa préface le cardinal Feltin, archevêque de Paris, espère que la lecture du livre incitera à la lecture du rituel lui-même. Il encourage Anne Leflaive à créer une sorte de « pépinières de futures vierges consacrées, éprises de cet idéal », dans l’espoir que soit levée l’interdiction de Rome. Chaque année Anne Leflaive se rend à Rome : elle rencontre Pie XII, Jean XXIII et Paul VI à ce sujet. Pie XII l’encourage à œuvrer dans ce sens.
- Concile Vatican II (1962-1965) et la révision du rituel (1966-1970)
En 1962, Jean XXIII ouvre le Concile, tournant décisif. Dès la première session un évêque évoque la révision du rituel de la consécration des vierges. A la fin du Concile, il est demandé la révision de tous les rites liturgiques, dont celui de la Consécration des vierges : « Que ce rituel soit réduit à une forme plus brève et plus simple. » Il s’agissait simplement d’une révision, il n’était nullement question d’un retour à l’ancien rite de consacrer des vierges vivant dans le monde, comme autrefois dans l’Eglise primitive. L’interdiction de 1927 demeurait. Ceux qui furent chargés de ce travail savaient qu’aux premiers siècles, les vierges consacrées étaient toutes des femmes laïques et que c’était pour elles que l’Eglise avait conçu le rite liturgique de la consécration. En 1966 et en 1970 Paul VI rencontre Anne Leflaive, lui parle de son étude sur la consécration que Pie XII aimait, dit-il.
Et c’est le 31 mai 1970 que la Congrégation pour le Culte divin et les Sacrements rendait au rituel de la consécration des vierges sa destination primitive en reconnaissant de façon officielle les vierges consacrées vivant dans le monde. Et promulguait le nouveau rituel de la consécration des vierges, ouvert aussi aux femmes vivant dans le monde.
Le rituel est entré en vigueur le 6 janvier 1971. On peut penser qu’Anne Leflaive n’y est pas pour rien. Jusqu’à la fin de sa vie, en 1987, à 88 ans, elle n’aura de cesse de faire connaître cette vocation « retrouvée » et de suggérer des améliorations au rituel.
Le rite porte désormais le titre : Ordo Consecrationis vrginum. Le Pontifical romain avant Vatican II parlait de : « Bénédiction et consécration des vierges ». Le nouveau rituel revient dix siècles en arrière. Comme le Pontifical de Mayence, il prévoit deux formules de cérémonie : l’une destinée à la consécration des vierges vivant dans le monde, et l’autre destinée aux moniales, les deux cérémonies ne différant pas pour le fond, mais simplement pour la forme.
Depuis, dans les documents officiels de l’Eglise, l’Ordo virginum est mentionné. D’abord dans les deux codes du droit de l’Eglise : celui de l’Eglise latine (1983) et celui des Eglises Orientales (1990). A ces deux codes, on peut ajouter la constitution « Pastor Bonus » (1988) et l’Exhortation apostolique postsynodale Vita Consecrata (1996) qui traite de la vie consacrée et de sa mission dans l’Eglise et dans le monde. Enfin, il importe de mentionner le dernier document romain Ecclesiae sponsae Imago, Instruction sur l’Ordo virginum publiée par la Congrégation pour les Instituts de vie Consacrée et les Sociétés de vie Apostolique, le 8 juin 2018 qui s’adresse aux évêques et aux vierges consacrées.
Désormais, les vierges consacrées ont retrouvé le statut qu’elles avaient dans l’Eglise aux premiers siècles. Lors de la rencontre internationale des vierges consacrées en janvier 2016, à l’occasion de la clôture de l’année de la vie religieuse et pour les 45 ans du rituel, quelque 600 vierges consacrées, venues de très nombreux pays, se sont retrouvées durant plusieurs jours à Rome. Une nouvelle rencontre était prévue, en 2021, pour les 50 ans de la restauration du rituel et de l’ordo vrginum. La pandémie l’en a empêchée. Depuis un demi-siècle, quelque 5000 vierges ont été consacrées dans le monde.