« Nous ne devons ni adorer ni mépriser notre corps »

Interview de Mireille Nègre par Isabelle Maillet

Ancienne première danseuse de l’Opéra de Paris, Mireille Nègre est vierge consacrée depuis plus de 25 ans. Elle témoignera du rapport au corps lors du rassemblement national des chrétiens en grande école les 6 et 7 février à Toulouse, dont le thème est “le corps, temple de l’Esprit”.

Quel a été votre parcours ?

Au moment d’être nommée première danseuse à l’Opéra de Paris, j’étais en quête de perfection et de donner un sens à ma vie. Lors de ma nomination, mon professeur de danse nous demandait d’aller au-delà du mouvement en danse, jusqu’à traverser les murs et de voir plus loin. C’est ce que je voulais faire non seulement dans l’art, mais dans ma vie tout entière. J’ai cherché à aller au bout de ma quête de Dieu. J’éprouvais le sens d’une vacuité à laquelle a répondu la plénitude du Christ, la reconnaissance d’un amour qui est capable de combler le cœur humain dans sa soif d’intimité et sa quête de dépassement. Seul le Christ pouvait m’apporter tout ça. Je suis entrée au Carmel de Limoges où ma vocation a mûri. Au bout de trois ans, ce choix s’est avéré n’être pas le cadre idéal pour vivre ma foi en tant qu’artiste. Ce qui est absolu en soi était ma consécration au Christ. J’ai quitté le carmel au bout de dix ans et j’ai retrouvé la danse. J’ai créé quelques spectacles dans lesquels je me suis produite pendant vingt ans. L’important était de témoigner et de faire passer à travers la danse une gestuelle, une mystique, une force.

Comment conciliez-vous votre activité professionnelle avec votre engagement religieux ?

Depuis ma conversion à l’âge de 22 ans, j’ai établi une hiérarchie de mes valeurs. Tout a basculé par l’irruption de la révélation que j’ai eue en Jésus-Christ, à travers sa Parole, qui maintenant est ma respiration. Je suis une chrétienne engagée qui témoigne à travers l’art, alors que j’étais auparavant essentiellement artiste. J’ai donné corps à mon baptême, j’ai voulu m’engager dans l’Église suite à une révélation et témoigner de ma foi à travers la danse. Au moment où j’ai vécu ma conversion, le concile Vatican II n’avait pas encore porté tous ses fruits. Je suis donc entrée au couvent des carmélites et y suis restée pendant dix ans, le temps que le concile commence à porter ses fruits, en consacrant des personnes dans le monde qui n’étaient pas nécessairement appelés à vivre une vie religieuse en communauté. Les vierges consacrées vivent une consécration au Christ absolue dans la virginité en tant qu’épouse du Christ, sans être obligée d’entrer dans une vie commune. Le Concile Vatican II a remis en vigueur ce rituel ancien. On peut penser que les premières consacrées étaient les femmes qui vivaient auprès de Jésus. Par la suite, c’est l’évêque du lieu qui établissait un rituel, de façon publique, pour consacrer ces personnes qui restaient dans le monde. La vie consacrée s’est perpétuée alors que naissaient les ermites et les religieuses monastiques. Les vierges consacrées ont existé jusqu’au Moyen Age. Le concile a remis en vigueur ce statut car beaucoup de femmes sont sorties des couvents tout en voulant rester consacrées au Christ. Il existe une façon de se donner au Christ dans l’ordre des vierges consacrées sans autre fondateur ou fondatrice que l’Église elle-même. Le retour à cette source est très exigeant car on ne prononce pas des vœux de pauvreté, chasteté, obéissance, mais nous sommes appelées à vivre l’Évangile avec une obéissance absolue à l’esprit du Christ. Les vierges consacrées sont comme des vestales dans le monde, nous sommes chargées d’entretenir le feu de l’amour de Dieu dans ce monde, en gardant notre foi vivante. L’espérance d’une consacrée est de croire en l’amour plus fort que la mort.
Aujourd’hui, je témoigne de ma foi par ce que je suis et par mes livres. Je me suis remise au piano et je prie en peignant des enluminures, comme Fra Angelico dans son monastère. Le retour à la Parole de Dieu est ma respiration. Une journée sans consulter la Parole de Dieu est pour moi un étouffement.

Les 6 et 7 février, vous allez témoigner auprès des étudiants des chrétiens en grande école réunis à Toulouse autour du thème du corps. Qu’allez-vous leur dire ?

Je leur parlerai du corps en lien avec la spiritualité, en tant que lieu de Transfiguration dans le corps mystique du Christ. Dieu nous a confié ce corps à la naissance pour que nous en soyons responsables. Ce corps ne doit être ni esclave ni maître mais serviteur de l’esprit qui nous habite. Il faut trouver ce juste équilibre qui nous est donné dans la foi en l’incarnation du Christ dans la chair de notre humanité. Le Christ a pris corps en notre humanité, il nous donne son corps pour que nous devenions ce corps. Il ne nous veut pas des êtres angéliques, mais des êtres corporels qui ont soin d’être responsables de cette corporéité. Il nous confie un corps et nous en sommes responsables tout au long de notre vie. Un corps que l’on oublie est facilement un corps qui est à la charge des autres. Nous devons prendre soin de ce corps, comme le dit Saint Paul. Nous devons habiter notre corps, le connaître, l’écouter, ne pas en être esclave mais le surveiller pour qu’il soit transparent à notre esprit.

Retrouvez Mireille Nègre dans l’émission : Visage inattendu de personnalité sur KTO

Biographie :

8 ans : entre à l’école de danse de l’Opéra de Paris
14 ans : intègre le corps de ballet de l’Opéra de Paris
22 ans : démissionne de l’Opéra de Paris alors qu’elle vient de réussir le concours de première danseuse. S’engage dans des troupes internationales comme danseuse étoile
28 ans : entre au carmel de Limoges
38 ans : quitte le carmel
40 ans : est consacrée vierge par le cardinal Jean-Marie Lustiger à la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1986 et mène sa vie d’artiste en tant que vierge consacrée.

Image par Fabio Marciano de Pixabay

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