« Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure … »

Catherine Luquin

Messe d’action de grâces, le dimanche 10 novembre 2002

Église Saint-Georges, Paris XIXe

A Notre-Dame nous étions 6 et non pas dix et j’espère que nous pouvons toutes nous situer parmi les jeunes filles prévoyantes de la parabole mais de cela nous n’avons pas l’assurance automatique car le Christ nous met en garde et nous dit : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure … ».

Tout chrétien est appelé à être un veilleur … Nous nous préparons tous sur cette terre à la rencontre du Christ et un jour nous le verrons non plus en espérance mais face à face et plus encore c’est toute l’Eglise qui attend le retour de son Seigneur dans la gloire. C’est ce que nous proclamons à chaque Eucharistie au moment de l’anamnèse : « Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ! ». Personne ne connaît l’heure de cette venue dans la gloire si ce n’est le Père qui a décidé un jour du temps de l’incarnation du Fils et qui décidera de même du moment de son retour glorieux. Inutile donc de spéculer sur ces fins dernières. Par contre, il nous revient de veiller …

1. Le 28 octobre dernier à Notre-Dame de PARIS, l’Évêque, Mgr d’ORNELLAS, m’a remis un cierge allumé (ici c’est une lampe à huile qui brûle sur l’autel et qui m’a été offerte par Catherine, une amie, vierge consacrée elle aussi et qui est présente parmi nous) en me disant : « Veillez car vous ne savez ni le jour ni l’heure. Conservez avec soin la lumière de l’Évangile, et soyez toujours prêtes à aller à la rencontre de l’époux qui vient. » et j’ai répondu : « Amen ! ».

Donc la lumière, c’est l’Évangile, la parole de Dieu, comme nous l’avons chanté au début de cette messe : « tu as posé une lampe, une lumière sur ma route, ta parole, Seigneur ! ». A notre époque moderne ou l’électricité est partout, il nous est difficile de nous rendre compte combien la lumière est précieuse, c’est à l’occasion souvent d’une panne de courant que l’on s’en aperçoit. Les jeunes qui font du scoutisme sont bien placés, eux, pour savoir combien il est précieux d’emporter une torche électrique pour se guider dans la nuit, au milieu des ombres de la forêt et pour marcher avec confiance et assurance au milieu des ténèbres …

Cette lumière de l’Évangile nous permet de veiller dans une attente active pour préparer cette rencontre avec le Christ. N’avons-nous pas tous fait, plus ou moins, l’expérience d’avoir été séparé, pour un temps assez long, d’un être qui nous est cher et qui est au loin et d’être dans l’attente de son retour. Le temps qui précède la rencontre future n’est pas un vide que l’on cherche à meubler mais au contraire notre cœur reste en éveil car l’amour que nous éprouvons pour cette personne fait que nous sommes mystérieusement reliés par la pensée et par le cœur à celui ou à celle dont nous guettons le retour. Dans l’attente d’heureuses retrouvailles, nous aimons lire et relire les lettres qui nous donnent de ses nouvelles et nous vivons d’une certaine manière, malgré l’absence physique, en présence de la personne aimée.

Et bien toute proportion gardée, il nous est demandé cette même vigilance amoureuse pour le Christ que nous aimons mais que nous ne voyons pas mais dont les traces lumineuses de sa présence sont imprimées à chaque page d’Évangile. Et comment conserver avec soin cette lumière de l’Évangile si ce n’est dans la prière qui est l’huile que nous devons avoir en réserve permanente et abondante. « Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent » demandent les insensées aux prévoyantes. C’est en effet dans la prière que l’Évangile devient pour nous la lumière qui éclaire la route de notre vie. Sans prière ardente, la flamme de l’Évangile vacille et faiblit, et nous risquons nous aussi de nous assoupir et de nous endormir dans notre vie de foi !

2. En ce 28 Octobre, l’Évêque m’a aussi remis le livre des heures en me disant : « Recevez le livre de la prière de l’Église. Ne cessez jamais de louer votre Dieu ni d’intercéder pour le salut du monde. » et j’ai répondu : « Amen ! ».

Prier nous permet justement cette attention délicate du cœur à la personne du Christ en méditant sa parole dans le silence, en nous mettant dans la même disposition intérieure que le jeune Samuel « parle, Seigneur, ton serviteur écoute ». Et St Jean nous fait dire par Jésus « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. » (ch. 14, v. 23). Prière personnelle et communautaire puisqu’elle me relie à l’Église toute entière notamment par les psaumes et les prières d’intercession. (Je suis tenue de dire deux offices par jour : les laudes, le matin et les vêpres, le soir). J’ai reçu une carte de la part de parents de jeunes de l’aumônerie qui pour l’occasion m’ont écrit : « Merci, Catherine pour le témoignage auprès de nos enfants, en particulier la louange ! ». (Il est vrai que c’est peut être plus facile quand on sait chanter et jouer de la guitare) … Si tout le monde n’est pas appelé à chanter et à jouer de la guitare, tous nous sommes appelés à louer et à intercéder, ses deux dimensions de la prière sont présentes aussi à chaque Eucharistie. Mais, plus encore, tout disciple du Christ, s’il est invité à prier à des moments précis, est aussi appelé à faire de sa vie même une prière. Saint Paul nous y exhorte : «Chantez à Dieu de tout votre cœur avec reconnaissance, par des psaumes, des hymnes, des cantiques inspirés. Et quoique vous puissiez dire ou faire, que ce soit toujours au nom de Jésus en rendant grâces à Dieu le Père. » (Col, 3, 16-17). La prière est le signe par excellence de l’union à Dieu dans tout ce qui fait notre vie.

3. En ce 28 Octobre, l’Évêque m’a aussi remis l’anneau en me disant : « Recevez cet anneau, signe de votre union avec le Christ. Gardez une fidélité sans partage au Seigneur Jésus : il vous introduira un jour dans la joie de l’alliance éternelle. » Et j’ai répondu : « Amen ! ».

Cette alliance éternelle est évoquée dans l’Évangile d’aujourd’hui par l’image des jeunes filles prévoyantes qui entrent avec l’Époux dans la salle des noces. Mais en attendant la joie des noces éternelles, il est bon de se préparer en vivant cette union au Christ sur la terre. L’Eucharistie est une anticipation de ces noces : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau … ». A chaque fois que nous recevons Jésus dans l’Eucharistie, nous préparons cette union définitive qui sera la nôtre au ciel … Et si cette alliance que je porte maintenant au doigt est un rappel pour moi, n’oublions pas que c’est d’abord par le baptême que nous sommes devenus « un » avec le Christ, nous avons été configurés au Christ en étant plongés dans sa mort et sa résurrection. Et cette fidélité sans partage qui m’est demandée dans l’état de vie, de célibat consacré, que j’ai choisi, est demandée à tout chrétien, quelle que soit sa vocation et sa mission, en sachant que notre fidélité n’est possible qu’en nous appuyant sur l’indéfectible fidélité de Dieu et sur son infinie miséricorde.

4. Enfin, en ce beau jour du 28 Octobre, l’Évêque m’a remis le voile en me disant : « Recevez ce voile, signe de votre consécration ; n’oubliez jamais que vous êtes vouée au service du Christ et de son corps qui est l’Église » et j’ai répondu : « Amen ! ».

Ce voile est symbolique, je l’ai porté le jour de la célébration mais il ne m’est pas demandé de le porter dans la vie courante … mais, là encore, n’oublions pas que, par notre Baptême, tous nous sommes consacrés à Dieu, nous sommes devenus ses enfants bien aimés (cette cape est le rappel du vêtement blanc baptismal). Mgr d’Ornellas nous a rappelé dans son homélie que le Christ et l’Église, c’est tout un et qu’on ne peut pas prétendre aimer le Christ sans aimer l’Église. Par lettre de mission du Cardinal Lustiger, je suis en responsabilité auprès de jeunes à l’aumônerie, pour la cinquième année maintenant. C’est une mission d’évangélisation que je partage avec d’autres au quotidien et qui est source de joie. Mais cette mission est exigeante car comme St Jean nous le rappelle dans sa première épître « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. » (ch. 4, v. 20). C’est dit sous la forme d’une équation catégorique et incontournable. L’amour de nos frères est indissociable du premier commandement : tu aimeras ton Dieu et donc il ne suffit pas de veiller en priant ou en méditant l’Évangile mais il s’agit d’aimer les autres en vérité ; cela constitue à mon avis autant la réserve d’huile que la prière. Cette dimension du don de soi est essentielle à toute vie chrétienne et elle n’est pas réservée aux personnes ayant consacré toute leur vie à Dieu. Chacun, chacune doit trouver sa manière d’être au service du Christ et de son Église dans le monde d’aujourd’hui, auprès des hommes et des femmes de notre temps. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait … ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces plus petits de mes frères, à moi non plus vous ne l’avez pas fait » nous dit Jésus en St Matthieu à propos du jugement dernier dans le même chapitre que la parabole des dix vierges (ch. 25 v. 40 et 45). C’est ce qui explicite à mon sens le jugement final et décisif du Christ pour les jeunes filles prévoyantes et les jeunes filles insensées. Pour les premières, elles trouvent un accueil bienveillant auprès du Christ leur époux et elles entrent avec lui dans la salle de noces. Même écho, au jugement dernier, pour ceux qui mettent en pratique l’amour du prochain : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde ». Pour les deuxièmes, elles entendent cette parole dure de la part du Christ : « Je ne vous connais pas … » et l’Époux ne leur ouvre pas la porte et elles restent dehors. Même écho, au jugement dernier, pour ceux qui ne mettent pas en pratique l’amour du prochain et que le Christ condamne sévèrement : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé par le diable et ses anges … ».

Je crois que nous sommes dans nos vies, tour à tour, ces personnes prévoyantes et insensées. Ne nous mettons pas trop facilement et trop vite du bon côté mais demandons à l’Esprit Saint et à la Vierge Marie de nous aider à être de véritables veilleurs.

Qui, mieux que Marie, a su veiller dans la foi ; elle qui « conservait avec soin toutes ses choses, les méditant en son cœur » (Luc, 2, 19). Qui, mieux que Marie, a su louer son Seigneur en chantant le magnificat et a intercédé pour ses frères : « ils n’ont pas de vin » dit-elle à Jésus aux noces de Cana (Jean, 2, 3). Qui, mieux que Marie, a vécu cette charité concrète, elle qui, enceinte de Jésus, se rend disponible pour venir en aide à sa cousine Elisabeth, plus âgée et enceinte de six mois de Jean-Baptiste. Que la Vierge Marie nous aide à tenir nos lampes allumées et à veiller comme elle en aimant Dieu dans la prière, à l’écoute de sa parole, et en aimant et servant nos frères. AMEN !

Photo © Elisabeth Vilain

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